Avvocato Generale UE: per l’avvocato deve prevalere il segreto professionale sugli obblighi antiriciclaggio

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 14 décembre 2006 (1)

Affaire C-305/05

Ordre des barreaux francophones et germanophone

Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles

Ordre des barreaux flamands

Ordre néerlandais des avocats du barreau de Bruxelles

contre

Conseil des ministres

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour d’arbitrage (Belgique)]

«Prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux –

Droit à un procès équitable – Obligation d’information pour les avocats à l’égard des

autorités responsables de la lutte contre le blanchiment de capitaux»

1. Est-il conforme au droit communautaire et aux principes fondamentaux qu’il protège d’imposer aux avocats, ainsi que le prévoit la directive 2001/97 du Parlement européen et du Conseil, du 4 décembre 2001, modifiant la directive 91/308/CEE du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (JO L 344, p. 76), l’obligation d’informer les autorités compétentes de tout fait de leur connaissance qui pourrait être l’indice d’un blanchiment de capitaux? La question que soulève la présente affaire devrait conduire la Cour à s’interroger sur l’une des valeurs fondamentales des États de droit formant l’Union européenne, le secret professionnel de l’avocat (2) . Si cette valeur apparaît incontestable, le régime juridique de sa protection demeure toutefois incertain et controversé. Sur quel fondement cette protection doit-elle être accordée? Peut-on admettre d’y déroger et dans quelles conditions? Selon quel critère opérer en pratique le partage entre ce qui relève du secret et ce qui n’en relève pas?

2. Ces questions, cette Cour ne sera pas la première à se les poser. Certaines juridictions nationales dans l’Union et hors de l’Union ont eu à se pencher sur des problèmes semblables (3). En outre, la Cour pourra utilement s’appuyer sur quelques-uns de ses précédents. Par sa jurisprudence, elle a déjà consacré le principe de la confidentialité de la correspondance échangée entre l’avocat et son client (4) et reconnu la spécificité de la profession d’avocat et des règles auxquelles celle-ci obéit (5).

I – Le contexte de l’affaire

3. Afin de bien saisir les enjeux de la cause, il me semble utile, à titre liminaire, de retracer la genèse de la disposition litigieuse et les conditions de sa mise en cause.

A – Le contexte communautaire

4. L’on rapporte que le terme de «blanchiment» aurait son origine dans une pratique qui s’est développée aux États-Unis d’Amérique consistant, pour la criminalité organisée, à acquérir des laveries automatiques et des entreprises de nettoyage de voitures dans le but de mêler leurs recettes provenant notamment de la contrebande d’alcool à l’époque de la prohibition aux profits légalement obtenus. Si cette origine est discutée, le sens du terme, lui, n’est point douteux. Le blanchiment de capitaux désigne un ensemble d’agissements dont l’objet est de conférer une apparence légale à des ressources d’origine criminelle.

5. Phénomène épousant et tirant même avantage de la libéralisation des échanges économiques mondiaux, le blanchiment appelle une lutte à la mesure de son expansion, sous forme d’une coopération internationale (6). Le Conseil de l’Europe adopta en 1980 une recommandation relative aux mesures contre le transfert et la mise à l’abri des capitaux illicites (7). Bien qu’il n’ait eu qu’un caractère incitatif, ce texte eut pour vertu de lancer le mouvement de lutte internationale contre le blanchiment de capitaux. Le 19 décembre 1988 fut adoptée à Vienne la convention des Nations unies contre le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes (8). Dans cette convention, le blanchiment de capitaux est érigé en infraction pénale et des sanctions sont instituées. En 1990, le Conseil de l’Europe adopta une convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (9). Approfondissant la coopération à l’échelle régionale, cette convention a pour effet d’élargir la définition de la notion de blanchiment et d’obliger les États signataires à adopter des mesures répressives. Dans le même temps fut institué le groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (ci-après le «GAFI»), organisme international créé à l’initiative du G7 à Paris en 1989 en vue d’élaborer et de promouvoir des stratégies de lutte contre ce fléau. Dès 1990, le GAFI publiait une série de quarante recommandations destinées à servir de base à une lutte coordonnée à l’échelle internationale (10).

6. C’est dans ce contexte normatif déjà relativement dense que la Communauté européenne va prendre l’initiative d’agir. Il s’agissait pour elle non seulement de participer à ce mouvement de lutte internationale mais également de protéger l’intégrité du marché unique européen (11). Ainsi fut adoptée la directive 91/308/CEE du Conseil, du 10 juin 1991, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (JO L 166, p. 77), par laquelle le législateur communautaire pose le principe de l’interdiction du blanchiment de capitaux dans la Communauté et exige des États membres qu’ils mettent en place un régime d’obligations d’identification, d’information et de prévention des opérations douteuses à l’attention des établissements de crédits et des institutions financières.

7. La disposition mise en cause dans la présente affaire est le résultat d’une modification apportée à la directive 91/308. La directive 2001/97 procède en effet de la volonté du législateur communautaire d’actualiser la directive 91/308 en tenant compte des conclusions de la Commission et des souhaits exprimés par le Parlement européen et les États membres et, à la lumière de l’expérience accumulée au cours des premières années de son application, d’étendre sa couverture à de nouveaux domaines et à de nouvelles activités. De là résulte, notamment, l’élargissement du champ d’application de l’obligation d’informer les autorités responsables d’éventuels soupçons en matière de blanchiment de capitaux, visée à l’article 6 de la directive 91/308, aux «notaires et autres membres de professions juridiques indépendantes» dans l’exercice de certaines de leurs activités.

8. Cet élargissement, qui est au centre de la présente affaire, fut le résultat d’une longue réflexion, menée au sein de différentes enceintes. En 1996, le GAFI, révisant ses recommandations, demandait aux autorités nationales d’élargir le champ d’application des mesures de lutte contre le blanchiment aux activités financières effectuées par des professions non financières. En 2001, le GAFI réitérait que, compte tenu «du recours croissant des criminels à des professionnels et à d’autres intermédiaires pour obtenir des conseils ou d’autres types d’aide afin de blanchir des fonds d’origine criminelle», il considère que «le champ d’application des quarante Recommandations doit être élargi de façon à couvrir sept catégories d’activités et de professions non financières», dont «les avocats et les notaires» (12).

9. Pareille recommandation ne pouvait rester étrangère au cadre communautaire. La directive 91/308 prévoyait elle-même en son article 12 que «les États membres veillent à étendre tout ou partie des dispositions de la présente directive aux professions et catégories d’entreprises, autres que les établissements de crédit et les institutions financières visées à l’article 1er, qui exercent des activités particulièrement susceptibles d’être utilisées à des fins de blanchiment de capitaux». En outre, aux termes de l’article 13 de ladite directive, était créé auprès de la Commission un comité de contact ayant notamment pour mission «d’examiner l’opportunité d’inclure une profession ou catégorie d’entreprises dans le champ de l’article 12 lorsqu’il a été constaté que, dans un État membre, cette profession ou cette catégorie d’entreprises a été utilisée aux fins de blanchiment de capitaux».

10. À la suite des premiers rapports de la Commission sur l’application de la directive, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne prirent position en faveur de l’extension de l’obligation de communiquer des informations, visée à l’article 6 de la directive, à des personnes et des catégories professionnelles autres que les établissements de crédits (13). En mars 1999, dans sa résolution sur le deuxième rapport de la Commission, le Parlement invitait expressément la Commission à présenter une proposition législative visant à modifier la directive en ce sens que soit prévue «l’inclusion, dans le champ d’application de la directive, des professions susceptibles d’être impliquées dans le blanchiment de capitaux ou d’être exploitées abusivement par les blanchisseurs, comme les agents immobiliers, les négociants en oeuvres d’art, les commissaires-priseurs, les casinos, les bureaux de change, les transporteurs de fonds, les notaires, les comptables, les avocats, les conseillers fiscaux et les experts-comptables, et ce en vue

• de leur appliquer en tout ou partie les dispositions énoncées dans cette directive et, le cas échéant,

• de leur appliquer de nouvelles dispositions tenant compte des circonstances particulières de ces professions et respectant pleinement, en particulier, l’obligation de secret professionnel qui leur est spécifique […]» (14).

11. C’est sur cette base que la Commission a présenté sa proposition de modification de la directive, en juillet 1999 (15). Celle-ci exige que les États membres veillent à ce que les dispositions prévues par la directive soient imposées «aux notaires et autres membres des professions juridiques indépendantes lorsqu’ils représentent ou assistent des clients» dans le cadre d’un certain nombre d’activités financières et commerciales. Cependant, elle prévoit également une dérogation de portée limitée: les États membres ne seraient pas tenus d’imposer les obligations d’information prévues par la directive aux membres des professions juridiques «pour ce qui concerne les informations qui leur seraient fournies par un client afin qu’ils puissent le représenter dans une procédure judiciaire». En revanche, cette dérogation «ne saurait pas couvrir les cas dans lesquels il y a des raisons de soupçonner que des conseils sont sollicités en vue de faciliter le blanchiment de capitaux».

12. Cette proposition a été fort débattue. La formulation finalement retenue est le reflet des termes de ce débat. Dans son avis relatif à la proposition de la Commission, le Parlement excluait absolument que pussent être soumis à ces obligations d’information les avocats indépendants ou les cabinets juridiques ou les membres d’une profession juridique réglementée exerçant non seulement dans le cadre de leur fonction de représentation en justice mais également dans le cadre de la fourniture de conseils juridiques (16). Cet avis s’écartait donc à deux égards de la proposition: d’une part, en transformant la faculté offerte aux États membres de prévoir une dérogation en obligation de créer cette dérogation, d’autre part, en élargissant le champ de la dérogation du cadre de la représentation en justice au cadre du conseil juridique.

13. La position commune arrêtée par le Conseil en novembre 2000 adopta une solution de compromis (17). Il est désormais proposé de libeller la disposition litigieuse comme suit:

«Les États membres ne sont pas tenus d’imposer les obligations prévues au paragraphe 1 aux notaires, aux membres des professions juridiques indépendantes, aux commissaires aux comptes, aux experts-comptables externes et aux conseillers fiscaux pour ce qui concerne les informations reçues de l’un de leurs clients ou obtenues sur un de leurs clients, lors de l’évaluation de la situation juridique de ce client ou dans l’exercice de leur mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une procédure, que ces informations soient reçues ou obtenues avant, pendant ou après cette procédure» (18).

14. Si la dérogation demeure une simple faculté offerte aux États membres, son champ d’application se trouve ainsi sensiblement élargi. Selon la Commission, cette position serait non seulement compatible avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH») mais également conforme à l’esprit des amendements déposés par le Parlement (19). Tel ne fut pas, pourtant, l’avis du Parlement. Dans sa résolution sur la position commune du Conseil, tout en reprenant la formulation de la position commune sur le champ d’application de la dérogation, celui-ci renouvelait sa volonté de transformer la faculté permettant de prévoir une dérogation en disposition contraignante pour les États membres (20).

15. La Commission prit sur cette question une position ambiguë (21). D’un côté, «étant donné la nécessité de garantir la compatibilité de la directive avec la [CEDH]», elle avoue avoir «quelque sympathie pour le désir qu’a le Parlement d’interdire la possibilité d’exiger la déclaration de soupçons de blanchiment de capitaux formés sur la base d’informations reçues par des avocats ou des notaires dans l’exercice de leur fonction de représentation d’un client dans une procédure judiciaire ou d’évaluation de sa situation juridique». Mais, de l’autre, elle «juge inacceptable que les mêmes considérations s’appliquent, de manière générale, aux professions non juridiques». Pour ce motif, l’amendement proposé par le Parlement fut rejeté.

16. Le Conseil ayant décidé de suivre la Commission sur ce point, un comité de conciliation fut institué. Or, au cours de cette conciliation, il est apparu, aux dires du Parlement, que «les évènements du 11 septembre 2001 aux États-Unis ont profondément modifié les points de vue sur la question, la directive sur le blanchiment de capitaux étant dorénavant considérée comme une composante essentielle de la lutte contre le terrorisme» (22). Dans ce nouveau contexte, un compromis s’est formé permettant l’approbation du texte par le Parlement à une large majorité en troisième lecture le 13 novembre 2001 et son approbation par le Conseil le 19 novembre 2001.

17. Le compromis prend la forme suivante. Les nouveaux articles 2 bis et 6 de la directive 91/308 telle que modifiée par la directive 2001/97 (ci-après la «directive»), demeurent inchangés.

18. Ainsi, l’article 2 bis prévoit:

«Les États membres veillent à ce que les obligations prévues par la directive soient imposées aux établissements suivants:

[…]

5) notaires et autres membres de professions juridiques indépendantes, lorsqu’ils

participent,

a) en assistant leur client dans la préparation ou la réalisation de transactions concernant:

i) l’achat et la vente de biens immeubles ou d’entreprises commerciales;

ii) la gestion de fonds, de titres ou d’autres actifs, appartenant au client;

iii) l’ouverture ou la gestion de comptes bancaires ou d’épargne ou de portefeuilles;

iv) l’organisation des apports nécessaires à la constitution, à la gestion ou à la direction de sociétés;

v) la constitution, la gestion ou la direction de fiducies, de sociétés ou de structures similaires;

b) ou en agissant au nom de leur client et pour le compte de celui-ci dans toute transaction financière ou immobilière.»

19. Quant à l’article 6, il dispose:

«1. Les États membres veillent à ce que les établissements et les personnes relevant

de la présente directive, ainsi que leurs dirigeants et employés, coopèrent pleinement

avec les autorités responsables de la lutte contre le blanchiment de capitaux

a) en informant, de leur propre initiative, ces autorités de tout fait qui pourrait être l’indice d’un blanchiment de capitaux;

b) en fournissant à ces autorités, à leur demande, toutes les informations nécessaires conformément aux procédures prévues par la législation applicable.

2. Les informations visées au paragraphe 1 sont transmises aux autorités responsables de la lutte contre le blanchiment de capitaux de l’État membre sur le territoire duquel se trouve l’établissement ou la personne qui fournit ces informations. Cette transmission est effectuée normalement par la ou les personnes désignées par l’établissement ou la personne relevant de la présente directive conformément aux procédures prévues à l’article 11, paragraphe 1, point a).

3. Dans le cas des notaires et des membres des professions juridiques indépendantes mentionnées à l’article 2 bis, point 5, les États membres peuvent désigner un organe d’autorégulation approprié de la profession concernée comme l’autorité à informer des faits visés au paragraphe 1, point a) et, dans ce cas, prévoient les formes appropriées de coopération entre cet organe et les autorités responsables de la lutte contre le blanchiment de capitaux.

Les États membres ne sont pas tenus d’imposer les obligations prévues au paragraphe 1

aux notaires, aux membres des professions juridiques indépendantes, aux commissaires

aux comptes, aux experts-comptables externes et aux conseillers fiscaux pour ce qui

concerne les informations reçues d’un de leurs clients ou obtenues sur un de leurs

clients, lors de l’évaluation de la situation juridique de ce client ou dans l’exercice de leur

mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou

concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière

d’engager ou d’éviter une procédure, que ces informations soient reçues ou obtenues

avant, pendant ou après cette procédure.»

20. En revanche, la conciliation a conduit à apporter certaines modifications à la formulation des considérants de la directive relatifs au régime applicable aux professions juridiques. Le seizième considérant expose le principe selon lequel «les notaires et les membres des professions juridiques indépendantes, tels que définis par les États membres, devraient être soumis aux dispositions de la directive lorsqu’ils participent à des transactions de nature financière ou pour le compte de sociétés, y compris lorsqu’ils fournissent des conseils fiscaux, transactions pour lesquelles le risque que les services de ces professions juridiques soient utilisés à des fins de blanchiment des produits où le crime est plus élevé». Cependant, le considérant suivant précise que: «[t]outefois, dans les cas où des membres indépendants de professions consistant à fournir des conseils juridiques, qui sont légalement reconnues et contrôlées, par exemple des avocats, évaluent la situation juridique d’un client ou le représentant dans un procédure judiciaire, il ne serait pas approprié que la directive leur impose l’obligation, à l’égard de ces activités, de communiquer d’éventuels soupçons en matière de blanchiment de capitaux. Il y a lieu d’exonérer de toute obligation de déclaration les informations obtenues avant, pendant et après une procédure judiciaire ou lors de l’évaluation de la situation juridique d’un client. Par conséquent, la consultation juridique demeure soumise à l’obligation de secret professionnel, sauf si le conseiller juridique prend part à des activités de blanchiment de capitaux, si la consultation juridique est fournie aux fins du blanchiment de capitaux ou si l’avocat sait que son client souhaite obtenir des conseils juridiques aux fins du blanchiment de capitaux».

21. Précisons enfin que la directive 91/308 a été récemment abrogée par la directive 2005/60. Le contenu de cette directive reprend sans les modifier les dispositions mises en cause dans la présente affaire (23).

B – Le contexte national

22. Cette affaire a son origine dans deux recours introduits parallèlement auprès de la Cour d’arbitrage (Belgique), l’un par l’Ordre des barreaux francophones et germanophone (ci-après l’«OBFG») et l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles, l’autre par l’Ordre des barreaux flamands et l’Ordre néerlandais des avocats de Bruxelles. Ces recours tendent à faire annuler certaines dispositions de la loi du 12 janvier 2004 modifiant la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux, la loi du 22 mars relative au statut et au contrôle des établissements de crédits, et la loi du 6 avril 1995 relative au statut des entreprises d’investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires financiers et conseillers en placements. À ces requêtes se sont joints le Conseil des barreaux de l’Union européenne (ci-après le «CCBE»), l’Ordre des avocats du barreau de Liège et le Conseil de ministres.

23. Précisons que la loi du 12 janvier 2004 a pour objet de transposer dans l’ordre juridique belge la directive 2001/97 modifiant la directive 91/308. Aussi édicte-t-elle un nouvel article 2 ter dont les termes sont identiques à l’article 2 bis, point 5, de la directive. En outre, tirant parti de la faculté ouverte par l’article 6, paragraphe 3, second alinéa, de la directive, la loi insère dans la législation belge un nouvel article 14 bis, paragraphe 3, disposant que «les personnes visées à l’article 2 ter ne transmettent pas ces informations si celles-ci ont été reçues d’un de leurs clients ou obtenues sur un de leurs clients lors de l’évaluation de la situation juridique de ce client ou dans l’exercice de leur mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une procédure, que ces informations soient reçues ou obtenues avant, pendant ou après cette procédure».

24. Il ressort de l’ordonnance de renvoi que les requérants reprochent principalement à cette loi d’étendre aux avocats les obligations posées par la loi du 11 janvier 1993. Selon les requérants, pareille extension porterait atteinte au principe du secret professionnel et de l’indépendance des avocats qui sont protégés par les droits reconnus dans la Constitution et dans la CEDH. Dans son arrêt, la Cour d’arbitrage établit que, si le secret professionnel est un «élément fondamental des droits de la défense», celui-ci peut céder «lorsqu’une nécessité l’impose ou lorsqu’une valeur jugée supérieure entre en conflit avec elle», pourvu toutefois que cette levée soit justifiée par un motif impérieux et être strictement proportionnée.

25. Cependant, il convient de tenir compte du fait que les dispositions litigieuses sont le produit d’une extension imposée par la transposition de la directive 2001/97. Dès lors, le débat sur la constitutionnalité de la loi belge dépend d’une question portant sur la validité de la directive communautaire. Cette question, portée devant la Cour en vertu de l’article 234, troisième alinéa, CE, est la suivante:

«L’article 1er, 2), de la directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4

décembre 2001, modifiant la directive 91/308/CEE du Conseil relative à la prévention de

l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux, viole-t-il le droit à

un procès équitable tel qu’il est garanti par l’article 6 de la CEDH, et par conséquent

l’article 6, paragraphe 2, UE, en ce que le nouvel article 2 bis, 5), qu’il a inséré dans la

directive 91/308/CEE, impose l’inclusion des membres de professions juridiques

indépendantes, sans exclure la profession d’avocat, dans le champ d’application de cette

même directive, qui, en substance, a pour objet que soit imposée aux personnes et

établissements qu’elle vise une obligation d’informer les autorités responsables de la lutte

contre le blanchiment de capitaux de tout fait qui pourrait être l’indice d’un tel

blanchiment (article 6 de la directive 91/308/CEE, remplacé par l’article 1er, 5), de la

directive 2001/97/CE?»

II – Le cadre du contrôle de validité

26. Afin d’apprécier la validité de la disposition litigieuse au regard du droit communautaire, il convient au préalable de déterminer précisément la norme au regard de laquelle cette disposition doit être contrôlée. Dans son ordonnance de renvoi, la Cour d’arbitrage se réfère à l’article 6 de la CEDH relatif au droit à un procès équitable et, par voie de conséquence, à l’article 6, paragraphe 2, UE.

27. Rappelons que l’article 6 UE est ainsi libellé:

«1. L’Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’État de droit, principes qui sont communs aux États membres.

2. L’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la [CEDH] et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire.»

28. Quant à l’article 6 de la CEDH, il se lit comme suit:

«1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. […]

[…]

3. Tout accusé a droit notamment à:

[…]

c. se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et,

s’il n’a pas les moyens de r&e

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 14 décembre 2006 (1)

Affaire C-305/05

Ordre des barreaux francophones et germanophone

Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles

Ordre des barreaux flamands

Ordre néerlandais des avocats du barreau de Bruxelles

contre

Conseil des ministres

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour d’arbitrage (Belgique)]

«Prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux –

Droit à un procès équitable – Obligation d’information pour les avocats à l’égard des

autorités responsables de la lutte contre le blanchiment de capitaux»

1. Est-il conforme au droit communautaire et aux principes fondamentaux qu’il protège d’imposer aux avocats, ainsi que le prévoit la directive 2001/97 du Parlement européen et du Conseil, du 4 décembre 2001, modifiant la directive 91/308/CEE du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (JO L 344, p. 76), l’obligation d’informer les autorités compétentes de tout fait de leur connaissance qui pourrait être l’indice d’un blanchiment de capitaux? La question que soulève la présente affaire devrait conduire la Cour à s’interroger sur l’une des valeurs fondamentales des États de droit formant l’Union européenne, le secret professionnel de l’avocat (2) . Si cette valeur apparaît incontestable, le régime juridique de sa protection demeure toutefois incertain et controversé. Sur quel fondement cette protection doit-elle être accordée? Peut-on admettre d’y déroger et dans quelles conditions? Selon quel critère opérer en pratique le partage entre ce qui relève du secret et ce qui n’en relève pas?

2. Ces questions, cette Cour ne sera pas la première à se les poser. Certaines juridictions nationales dans l’Union et hors de l’Union ont eu à se pencher sur des problèmes semblables (3). En outre, la Cour pourra utilement s’appuyer sur quelques-uns de ses précédents. Par sa jurisprudence, elle a déjà consacré le principe de la confidentialité de la correspondance échangée entre l’avocat et son client (4) et reconnu la spécificité de la profession d’avocat et des règles auxquelles celle-ci obéit (5).

I – Le contexte de l’affaire

3. Afin de bien saisir les enjeux de la cause, il me semble utile, à titre liminaire, de retracer la genèse de la disposition litigieuse et les conditions de sa mise en cause.

A – Le contexte communautaire

4. L’on rapporte que le terme de «blanchiment» aurait son origine dans une pratique qui s’est développée aux États-Unis d’Amérique consistant, pour la criminalité organisée, à acquérir des laveries automatiques et des entreprises de nettoyage de voitures dans le but de mêler leurs recettes provenant notamment de la contrebande d’alcool à l’époque de la prohibition aux profits légalement obtenus. Si cette origine est discutée, le sens du terme, lui, n’est point douteux. Le blanchiment de capitaux désigne un ensemble d’agissements dont l’objet est de conférer une apparence légale à des ressources d’origine criminelle.

5. Phénomène épousant et tirant même avantage de la libéralisation des échanges économiques mondiaux, le blanchiment appelle une lutte à la mesure de son expansion, sous forme d’une coopération internationale (6). Le Conseil de l’Europe adopta en 1980 une recommandation relative aux mesures contre le transfert et la mise à l’abri des capitaux illicites (7). Bien qu’il n’ait eu qu’un caractère incitatif, ce texte eut pour vertu de lancer le mouvement de lutte internationale contre le blanchiment de capitaux. Le 19 décembre 1988 fut adoptée à Vienne la convention des Nations unies contre le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes (8). Dans cette convention, le blanchiment de capitaux est érigé en infraction pénale et des sanctions sont instituées. En 1990, le Conseil de l’Europe adopta une convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (9). Approfondissant la coopération à l’échelle régionale, cette convention a pour effet d’élargir la définition de la notion de blanchiment et d’obliger les États signataires à adopter des mesures répressives. Dans le même temps fut institué le groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (ci-après le «GAFI»), organisme international créé à l’initiative du G7 à Paris en 1989 en vue d’élaborer et de promouvoir des stratégies de lutte contre ce fléau. Dès 1990, le GAFI publiait une série de quarante recommandations destinées à servir de base à une lutte coordonnée à l’échelle internationale (10).

6. C’est dans ce contexte normatif déjà relativement dense que la Communauté européenne va prendre l’initiative d’agir. Il s’agissait pour elle non seulement de participer à ce mouvement de lutte internationale mais également de protéger l’intégrité du marché unique européen (11). Ainsi fut adoptée la directive 91/308/CEE du Conseil, du 10 juin 1991, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (JO L 166, p. 77), par laquelle le législateur communautaire pose le principe de l’interdiction du blanchiment de capitaux dans la Communauté et exige des États membres qu’ils mettent en place un régime d’obligations d’identification, d’information et de prévention des opérations douteuses à l’attention des établissements de crédits et des institutions financières.

7. La disposition mise en cause dans la présente affaire est le résultat d’une modification apportée à la directive 91/308. La directive 2001/97 procède en effet de la volonté du législateur communautaire d’actualiser la directive 91/308 en tenant compte des conclusions de la Commission et des souhaits exprimés par le Parlement européen et les États membres et, à la lumière de l’expérience accumulée au cours des premières années de son application, d’étendre sa couverture à de nouveaux domaines et à de nouvelles activités. De là résulte, notamment, l’élargissement du champ d’application de l’obligation d’informer les autorités responsables d’éventuels soupçons en matière de blanchiment de capitaux, visée à l’article 6 de la directive 91/308, aux «notaires et autres membres de professions juridiques indépendantes» dans l’exercice de certaines de leurs activités.

8. Cet élargissement, qui est au centre de la présente affaire, fut le résultat d’une longue réflexion, menée au sein de différentes enceintes. En 1996, le GAFI, révisant ses recommandations, demandait aux autorités nationales d’élargir le champ d’application des mesures de lutte contre le blanchiment aux activités financières effectuées par des professions non financières. En 2001, le GAFI réitérait que, compte tenu «du recours croissant des criminels à des professionnels et à d’autres intermédiaires pour obtenir des conseils ou d’autres types d’aide afin de blanchir des fonds d’origine criminelle», il considère que «le champ d’application des quarante Recommandations doit être élargi de façon à couvrir sept catégories d’activités et de professions non financières», dont «les avocats et les notaires» (12).

9. Pareille recommandation ne pouvait rester étrangère au cadre communautaire. La directive 91/308 prévoyait elle-même en son article 12 que «les États membres veillent à étendre tout ou partie des dispositions de la présente directive aux professions et catégories d’entreprises, autres que les établissements de crédit et les institutions financières visées à l’article 1er, qui exercent des activités particulièrement susceptibles d’être utilisées à des fins de blanchiment de capitaux». En outre, aux termes de l’article 13 de ladite directive, était créé auprès de la Commission un comité de contact ayant notamment pour mission «d’examiner l’opportunité d’inclure une profession ou catégorie d’entreprises dans le champ de l’article 12 lorsqu’il a été constaté que, dans un État membre, cette profession ou cette catégorie d’entreprises a été utilisée aux fins de blanchiment de capitaux».

10. À la suite des premiers rapports de la Commission sur l’application de la directive, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne prirent position en faveur de l’extension de l’obligation de communiquer des informations, visée à l’article 6 de la directive, à des personnes et des catégories professionnelles autres que les établissements de crédits (13). En mars 1999, dans sa résolution sur le deuxième rapport de la Commission, le Parlement invitait expressément la Commission à présenter une proposition législative visant à modifier la directive en ce sens que soit prévue «l’inclusion, dans le champ d’application de la directive, des professions susceptibles d’être impliquées dans le blanchiment de capitaux ou d’être exploitées abusivement par les blanchisseurs, comme les agents immobiliers, les négociants en oeuvres d’art, les commissaires-priseurs, les casinos, les bureaux de change, les transporteurs de fonds, les notaires, les comptables, les avocats, les conseillers fiscaux et les experts-comptables, et ce en vue

• de leur appliquer en tout ou partie les dispositions énoncées dans cette directive et, le cas échéant,

• de leur appliquer de nouvelles dispositions tenant compte des circonstances particulières de ces professions et respectant pleinement, en particulier, l’obligation de secret professionnel qui leur est spécifique […]» (14).

11. C’est sur cette base que la Commission a présenté sa proposition de modification de la directive, en juillet 1999 (15). Celle-ci exige que les États membres veillent à ce que les dispositions prévues par la directive soient imposées «aux notaires et autres membres des professions juridiques indépendantes lorsqu’ils représentent ou assistent des clients» dans le cadre d’un certain nombre d’activités financières et commerciales. Cependant, elle prévoit également une dérogation de portée limitée: les États membres ne seraient pas tenus d’imposer les obligations d’information prévues par la directive aux membres des professions juridiques «pour ce qui concerne les informations qui leur seraient fournies par un client afin qu’ils puissent le représenter dans une procédure judiciaire». En revanche, cette dérogation «ne saurait pas couvrir les cas dans lesquels il y a des raisons de soupçonner que des conseils sont sollicités en vue de faciliter le blanchiment de capitaux».

12. Cette proposition a été fort débattue. La formulation finalement retenue est le reflet des termes de ce débat. Dans son avis relatif à la proposition de la Commission, le Parlement excluait absolument que pussent être soumis à ces obligations d’information les avocats indépendants ou les cabinets juridiques ou les membres d’une profession juridique réglementée exerçant non seulement dans le cadre de leur fonction de représentation en justice mais également dans le cadre de la fourniture de conseils juridiques (16). Cet avis s’écartait donc à deux égards de la proposition: d’une part, en transformant la faculté offerte aux États membres de prévoir une dérogation en obligation de créer cette dérogation, d’autre part, en élargissant le champ de la dérogation du cadre de la représentation en justice au cadre du conseil juridique.

13. La position commune arrêtée par le Conseil en novembre 2000 adopta une solution de compromis (17). Il est désormais proposé de libeller la disposition litigieuse comme suit:

«Les États membres ne sont pas tenus d’imposer les obligations prévues au paragraphe 1 aux notaires, aux membres des professions juridiques indépendantes, aux commissaires aux comptes, aux experts-comptables externes et aux conseillers fiscaux pour ce qui concerne les informations reçues de l’un de leurs clients ou obtenues sur un de leurs clients, lors de l’évaluation de la situation juridique de ce client ou dans l’exercice de leur mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une procédure, que ces informations soient reçues ou obtenues avant, pendant ou après cette procédure» (18).

14. Si la dérogation demeure une simple faculté offerte aux États membres, son champ d’application se trouve ainsi sensiblement élargi. Selon la Commission, cette position serait non seulement compatible avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH») mais également conforme à l’esprit des amendements déposés par le Parlement (19). Tel ne fut pas, pourtant, l’avis du Parlement. Dans sa résolution sur la position commune du Conseil, tout en reprenant la formulation de la position commune sur le champ d’application de la dérogation, celui-ci renouvelait sa volonté de transformer la faculté permettant de prévoir une dérogation en disposition contraignante pour les États membres (20).

15. La Commission prit sur cette question une position ambiguë (21). D’un côté, «étant donné la nécessité de garantir la compatibilité de la directive avec la [CEDH]», elle avoue avoir «quelque sympathie pour le désir qu’a le Parlement d’interdire la possibilité d’exiger la déclaration de soupçons de blanchiment de capitaux formés sur la base d’informations reçues par des avocats ou des notaires dans l’exercice de leur fonction de représentation d’un client dans une procédure judiciaire ou d’évaluation de sa situation juridique». Mais, de l’autre, elle «juge inacceptable que les mêmes considérations s’appliquent, de manière générale, aux professions non juridiques». Pour ce motif, l’amendement proposé par le Parlement fut rejeté.

16. Le Conseil ayant décidé de suivre la Commission sur ce point, un comité de conciliation fut institué. Or, au cours de cette conciliation, il est apparu, aux dires du Parlement, que «les évènements du 11 septembre 2001 aux États-Unis ont profondément modifié les points de vue sur la question, la directive sur le blanchiment de capitaux étant dorénavant considérée comme une composante essentielle de la lutte contre le terrorisme» (22). Dans ce nouveau contexte, un compromis s’est formé permettant l’approbation du texte par le Parlement à une large majorité en troisième lecture le 13 novembre 2001 et son approbation par le Conseil le 19 novembre 2001.

17. Le compromis prend la forme suivante. Les nouveaux articles 2 bis et 6 de la directive 91/308 telle que modifiée par la directive 2001/97 (ci-après la «directive»), demeurent inchangés.

18. Ainsi, l’article 2 bis prévoit:

«Les États membres veillent à ce que les obligations prévues par la directive soient imposées aux établissements suivants:

[…]

5) notaires et autres membres de professions juridiques indépendantes, lorsqu’ils

participent,

a) en assistant leur client dans la préparation ou la réalisation de transactions concernant:

i) l’achat et la vente de biens immeubles ou d’entreprises commerciales;

ii) la gestion de fonds, de titres ou d’autres actifs, appartenant au client;

iii) l’ouverture ou la gestion de comptes bancaires ou d’épargne ou de portefeuilles;

iv) l’organisation des apports nécessaires à la constitution, à la gestion ou à la direction de sociétés;

v) la constitution, la gestion ou la direction de fiducies, de sociétés ou de structures similaires;

b) ou en agissant au nom de leur client et pour le compte de celui-ci dans toute transaction financière ou immobilière.»

19. Quant à l’article 6, il dispose:

«1. Les États membres veillent à ce que les établissements et les personnes relevant

de la présente directive, ainsi que leurs dirigeants et employés, coopèrent pleinement

avec les autorités responsables de la lutte contre le blanchiment de capitaux

a) en informant, de leur propre initiative, ces autorités de tout fait qui pourrait être l’indice d’un blanchiment de capitaux;

b) en fournissant à ces autorités, à leur demande, toutes les informations nécessaires conformément aux procédures prévues par la législation applicable.

2. Les informations visées au paragraphe 1 sont transmises aux autorités responsables de la lutte contre le blanchiment de capitaux de l’État membre sur le territoire duquel se trouve l’établissement ou la personne qui fournit ces informations. Cette transmission est effectuée normalement par la ou les personnes désignées par l’établissement ou la personne relevant de la présente directive conformément aux procédures prévues à l’article 11, paragraphe 1, point a).

3. Dans le cas des notaires et des membres des professions juridiques indépendantes mentionnées à l’article 2 bis, point 5, les États membres peuvent désigner un organe d’autorégulation approprié de la profession concernée comme l’autorité à informer des faits visés au paragraphe 1, point a) et, dans ce cas, prévoient les formes appropriées de coopération entre cet organe et les autorités responsables de la lutte contre le blanchiment de capitaux.

Les États membres ne sont pas tenus d’imposer les obligations prévues au paragraphe 1

aux notaires, aux membres des professions juridiques indépendantes, aux commissaires

aux comptes, aux experts-comptables externes et aux conseillers fiscaux pour ce qui

concerne les informations reçues d’un de leurs clients ou obtenues sur un de leurs

clients, lors de l’évaluation de la situation juridique de ce client ou dans l’exercice de leur

mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou

concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière

d’engager ou d’éviter une procédure, que ces informations soient reçues ou obtenues

avant, pendant ou après cette procédure.»

20. En revanche, la conciliation a conduit à apporter certaines modifications à la formulation des considérants de la directive relatifs au régime applicable aux professions juridiques. Le seizième considérant expose le principe selon lequel «les notaires et les membres des professions juridiques indépendantes, tels que définis par les États membres, devraient être soumis aux dispositions de la directive lorsqu’ils participent à des transactions de nature financière ou pour le compte de sociétés, y compris lorsqu’ils fournissent des conseils fiscaux, transactions pour lesquelles le risque que les services de ces professions juridiques soient utilisés à des fins de blanchiment des produits où le crime est plus élevé». Cependant, le considérant suivant précise que: «[t]outefois, dans les cas où des membres indépendants de professions consistant à fournir des conseils juridiques, qui sont légalement reconnues et contrôlées, par exemple des avocats, évaluent la situation juridique d’un client ou le représentant dans un procédure judiciaire, il ne serait pas approprié que la directive leur impose l’obligation, à l’égard de ces activités, de communiquer d’éventuels soupçons en matière de blanchiment de capitaux. Il y a lieu d’exonérer de toute obligation de déclaration les informations obtenues avant, pendant et après une procédure judiciaire ou lors de l’évaluation de la situation juridique d’un client. Par conséquent, la consultation juridique demeure soumise à l’obligation de secret professionnel, sauf si le conseiller juridique prend part à des activités de blanchiment de capitaux, si la consultation juridique est fournie aux fins du blanchiment de capitaux ou si l’avocat sait que son client souhaite obtenir des conseils juridiques aux fins du blanchiment de capitaux».

21. Précisons enfin que la directive 91/308 a été récemment abrogée par la directive 2005/60. Le contenu de cette directive reprend sans les modifier les dispositions mises en cause dans la présente affaire (23).

B – Le contexte national

22. Cette affaire a son origine dans deux recours introduits parallèlement auprès de la Cour d’arbitrage (Belgique), l’un par l’Ordre des barreaux francophones et germanophone (ci-après l’«OBFG») et l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles, l’autre par l’Ordre des barreaux flamands et l’Ordre néerlandais des avocats de Bruxelles. Ces recours tendent à faire annuler certaines dispositions de la loi du 12 janvier 2004 modifiant la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux, la loi du 22 mars relative au statut et au contrôle des établissements de crédits, et la loi du 6 avril 1995 relative au statut des entreprises d’investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires financiers et conseillers en placements. À ces requêtes se sont joints le Conseil des barreaux de l’Union européenne (ci-après le «CCBE»), l’Ordre des avocats du barreau de Liège et le Conseil de ministres.

23. Précisons que la loi du 12 janvier 2004 a pour objet de transposer dans l’ordre juridique belge la directive 2001/97 modifiant la directive 91/308. Aussi édicte-t-elle un nouvel article 2 ter dont les termes sont identiques à l’article 2 bis, point 5, de la directive. En outre, tirant parti de la faculté ouverte par l’article 6, paragraphe 3, second alinéa, de la directive, la loi insère dans la législation belge un nouvel article 14 bis, paragraphe 3, disposant que «les personnes visées à l’article 2 ter ne transmettent pas ces informations si celles-ci ont été reçues d’un de leurs clients ou obtenues sur un de leurs clients lors de l’évaluation de la situation juridique de ce client ou dans l’exercice de leur mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une procédure, que ces informations soient reçues ou obtenues avant, pendant ou après cette procédure».

24. Il ressort de l’ordonnance de renvoi que les requérants reprochent principalement à cette loi d’étendre aux avocats les obligations posées par la loi du 11 janvier 1993. Selon les requérants, pareille extension porterait atteinte au principe du secret professionnel et de l’indépendance des avocats qui sont protégés par les droits reconnus dans la Constitution et dans la CEDH. Dans son arrêt, la Cour d’arbitrage établit que, si le secret professionnel est un «élément fondamental des droits de la défense», celui-ci peut céder «lorsqu’une nécessité l’impose ou lorsqu’une valeur jugée supérieure entre en conflit avec elle», pourvu toutefois que cette levée soit justifiée par un motif impérieux et être strictement proportionnée.

25. Cependant, il convient de tenir compte du fait que les dispositions litigieuses sont le produit d’une extension imposée par la transposition de la directive 2001/97. Dès lors, le débat sur la constitutionnalité de la loi belge dépend d’une question portant sur la validité de la directive communautaire. Cette question, portée devant la Cour en vertu de l’article 234, troisième alinéa, CE, est la suivante:

«L’article 1er, 2), de la directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4

décembre 2001, modifiant la directive 91/308/CEE du Conseil relative à la prévention de

l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux, viole-t-il le droit à

un procès équitable tel qu’il est garanti par l’article 6 de la CEDH, et par conséquent

l’article 6, paragraphe 2, UE, en ce que le nouvel article 2 bis, 5), qu’il a inséré dans la

directive 91/308/CEE, impose l’inclusion des membres de professions juridiques

indépendantes, sans exclure la profession d’avocat, dans le champ d’application de cette

même directive, qui, en substance, a pour objet que soit imposée aux personnes et

établissements qu’elle vise une obligation d’informer les autorités responsables de la lutte

contre le blanchiment de capitaux de tout fait qui pourrait être l’indice d’un tel

blanchiment (article 6 de la directive 91/308/CEE, remplacé par l’article 1er, 5), de la

directive 2001/97/CE?»

II – Le cadre du contrôle de validité

26. Afin d’apprécier la validité de la disposition litigieuse au regard du droit communautaire, il convient au préalable de déterminer précisément la norme au regard de laquelle cette disposition doit être contrôlée. Dans son ordonnance de renvoi, la Cour d’arbitrage se réfère à l’article 6 de la CEDH relatif au droit à un procès équitable et, par voie de conséquence, à l’article 6, paragraphe 2, UE.

27. Rappelons que l’article 6 UE est ainsi libellé:

«1. L’Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’État de droit, principes qui sont communs aux États membres.

2. L’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la [CEDH] et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire.»

28. Quant à l’article 6 de la CEDH, il se lit comme suit:

«1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. […]

[…]

3. Tout accusé a droit notamment à:

[…]

c. se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et,

s’il n’a pas les moyens de r&e